Institut de Géographie  Imaginaire
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Houles
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[Note d’intention] Quelle étrange malédiction frappe les grottes marines ? Sitôt peuplées, voilà qu’elles étaient désertées. Il y avait eu les humains préhistoriques, les fées et les fétauds, les touristes du XIXe siècle... Aujourd’hui on leur promet ni plus ni moins que l’effondrement ou l’ennoiement, du fait de la montée des eaux en cours. Mais que se passe-t-il dans les profondeurs de ces houles ? Et qu’est-ce que tous ceux qui se sont approchés d’elles ont à leur reprocher ? Depuis bientôtn dix ans, l’IGI mène d’importantes recherches visant à percer ce mystère.

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Ouessant 2024

[Nos fameux explorateurs de houles sont formels : les perspectives de découverte de nouvelles grottes marines, et donc de compréhension des mystères qui les entourent (de même que de localisation des trésors et des chimères qu'elles abritent - voir ci-dessous), se concentrent désormais autour de la côte déchiquetée de l'île d'Ouessant. Pour preuve, cette nouvelle cavité qu'ils ont visitée dans le secteur de Penn ar Ru Meur.]

La marée était basse. Pas si basse, mais basse. Depuis bien une heure qu'on marchait sur les crêtes. On en avait vu, des grottes, en contrebas. Des planquées, des inaccessibles – noyées d'eau, avec les vagues qui claquent et tout. Sur notre gauche, l'île de Keller. Surface pelée. Pas un buisson. Rien. Si ! Cette grande bicoque de film d'horreur, paupières closes.
Comment arriver jusqu'à elle ? qu'on se demandait. Parce que dans le chenal, le courant était vachard. Des moutons, pleins. À vous noyer n'importe quelle embarcation. D'ailleurs des naufrages, dans ce coin : pléthore. Des trucs moches même. Avec de la marée noire. On se demandait comment faire, donc, pour aller y voir. Par la mer : exclu. Alors quoi ? Un souterrain ? Après tout... Ils nous en ont bien foutu un sous la Manche.
Justement, avant d'arriver à Penn ar Ru Meur : une arche, fine, sublime, malheureusement prête à flancher. Et dessous : une petite crique, hors d'eau. À vous étaler nonchalamment son tapis de laminaire. Contre la falaise : deux grottes. Des belles, qui s'enfonçaient superbement dans la pierre. Et nous qui avions si longtemps rongé notre frein. Ni une ni deux ! Nous avons rejoint – désescalade scabreuse – cette prairie de varech.
Il fallait choisir. Nous avons opté pour la cave de gauche, a priori moins vaste que l'autre. (Nous nous plaisons, en chaque occasion, à garder le dessert pour la fin.) Nous nous sommes avancés sous ce haut porche. Tout ça impressionnant quand même. Et nos pieds qui patinaient sur de gros galets couverts de savon noir. Quelques pas encore avant la fin. Soudain : surprise ! Cachée jusque-là dans la paroi du fond, une fissure s'offrait à nous. Pénétrable, le machin. Et le noir de l'autre côté. Total. Nous ne nous étions douté de rien... Pénétrable, mais à condition de se plonger la moitié du corps dans une vasque profonde. Eau trouble. Pas très engageante. Bah, qu'on s'est dit.
Nous avons ôté bottes et pantalons afin de nous mettre en tenue. Petite. Devant la faille, un féroce courant d'air a bondi sur nous. Ce qui est bon signe, et même très très bon signe. On s'est contorsionnés, puisqu'il le fallait bien. Eau glacée. Chair de poule. Nous avons repris pied sur un amas d'algues puantes.  Au-delà, un couloir au fond duquel se perdaient les faisceaux de nos frontales. Les parois : des mains prêtes à se refermer sur nous  – claustrophobes s'abstenir. Le courant d'air et tout, ce n'était pas de la blague.
Alors on s'est élancés, comme ça, pas à pas. Le souffle de la grotte s'est calmé. Un peu. Quand même les murs tremblaient, et l'air nous chatouillait les joues. La peur ? Non. Enfin, juste ce qu'il faut.
Et puis un grondement, lointain d'abord, est venu s'ajouter au hululement des rafales. La galerie s'est resserrée. Nous, vaillants, on s'est pas laissés faire : à se baisser d'abord, ramper presque, pour franchir l'étroiture. Debout à nouveau, et la galerie ben qui continuait, étroite toujours, mais qui continuait. Et nous, pensifs : ce truc de souterrain vers l'île de Keller ? Et si jamais... Ce n'était pas tout à fait la direction non plus. Encore que... Sous terre, les boussoles, on sait ce que c'est.
Une lueur, au loin. Et le grondement toujours plus fort. Une certitude, à ce point. Il y avait une autre ouverture, là-bas. Ça ressortait. Et la mer arrivait jusque-là. Bientôt, les parois se sont desserrées. Une salle. Avec sa voûte soutenue par un gigantesque pilier de pierre, façon patte de mastodonte. De chaque côté, un étroit passage. On n'a pas réfléchi, on s'est faufilés et penchés au-dessus du ressaut.
Au-delà : un porche immense. Et les vagues qui s'engouffraient là-dedans, qui y roulaient des charretées de galets. Ce n'était pas fini. À gauche, une autre grotte. Et à droite, une grotte encore. Ma doué ! Penn ar Ru Meur était criblée de grottes, reliées entre elles par un insonsable réseau de galeries invisibles aux fouleurs de GR. Au milieu de tout ça des morceaux de métal, gigantesques, pliés en tous sens : morceaux de machines, de mâts, de coques. Toute la brutalité de l'épave, poussée jusque dans ces profondeurs par la mer mauvaise.
Nous avons contemplé ce spectacle un moment. La tête grisée. Ça tournait autour de nous : l'île de Keller, cette galerie, les autres, les reliques de métal, la mer furibonde. Et nous, là, minuscules. Nous n'avions qu'à continuer pour en avoir le cœur net. Descendre, affronter les vagues, pas si grosses que ça non plus, prendre la grotte de gauche, puisque c'était justement la direction de l'île, et puis cette fois passer pour de bon sous le chenal. Parce qu'on avait compris. Le mystère était levé. Il fallait bien qu'ils cheminent par là, les Keller et compagnie. Pas le choix. On les imaginait, toute la famille à la queue leu leu, avec leurs chandeliers. Mais nous, les morceaux de métal, les nappes d'hydrocarbures. Ça nous disait moyen en fait. Et puis on avait laissé nos fringues et tout, de l'autre côté, sous le porche. Alors non, ce serait pour une autre fois. Mieux organisés. Avec des sacs. Une trousse à pharmacie, à cause du métal rouillé. Voilà, c'était calé. À nous deux, l'île de Keller ! Mais présentement, c'est peu dire que la mer gueulait. Nous, des bourdons plein les tympans : « Allez hop ! demi-tour. »

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Avril 2023

Prolongeant leur enquête au long cours sur les trésors des grottes marines, deux de nos vaillants spéléologues se sont aventurés, il y a quelques semaines, dans les mystérieuses cavernes qui s’ouvrent au pied des falaises de la plage du Ris (ou Rys ou Ry). Car c’est là, en effet, au large de la ville de Douarnenez, que chroniqueurs et folkloristes situent la légendaire cité d’Is (ou Ys). Les grottes marines étant de formidables filets à épaves, tous les espoirs étaient donc permis à nos chercheurs d’y exhumer de précieux vestiges archéologiques.
Or ces mêmes chercheurs, après avoir bravement inspecté chacune de ces cavités, sont formels : ils n’ont rien trouvé – absolument rien. Chaque trou visité était aussi vide que celui qui le précédait – et que celui qui allait suivre. Certaines de ces grottes, certes, étaient de proportions titanesques, comme si des géants avaient vécu courbés là, dans ces profondeurs humides, leur dos raclant une voûte dégoulinante et toujours prête à s’effondrer ; d’autres, semblables à des palais d’Orient, étaient parées de couleurs inouïes, tirant parfois vers le turquoise, le rouge sang, l’orange cuivré, le vert bouteille ou le gris pâle ; d’autres encore cachaient dans leurs tréfonds d’incroyable labyrinthes de pierre à demi ensablés. Mais de la ville d’Is elle-même : rien. Pas une trace, pas un débris, pas une relique. Déçus, nos hardis explorateurs sont rentrés chez eux bredouilles, songeant décidément que la mer avait ses humeurs et qu’une prochaine tempête leur apporterait peut-être les précieux trésors qu’ils convoitent.
Quelle ne fut pas leur surprise, toutefois, de découvrir quelques jours plus tard, dans les archives locales *, que deux retraités (Geneviève T. et Jean-Claude S.) visitaient ces grottes quotidiennement, afin de les vider des ordures que les marées y accumulent. Profitant d’une si heureuse coïncidence, nos deux spéléologues se sont empressés de leur adresser la lettre suivante.

Chers confrères,
le 11 mars dernier, nous, membres de l’IGI (Institut de géographie imaginaire), visitions les grottes de la plage du Ris, près Douarnenez, afin d’y chercher de possibles vestiges de la célèbre cité d’Is. Malheureusement, nous n’y trouvâmes, ce jour-là, que des creux et du vide.  
Ayant découvert, dans les archives (Ouest-France du 21 janvier 2021 ; Le Télégramme des 24 & 28 mars 2021), que vous les visitiez quotidiennement, afin d’en extraire détritus et lagans que, d’une marée à l’autre, les eaux salées y charrient, nous souhaiterions obtenir, dans le cadre de notre programme de recherches « Houles », la liste détaillée des objets que, à ce jour, vous en avez extraits. S’il s’avérait que, pour des raisons de praticité, vous ne disposiez pas d’une telle liste (dont la mise à jour, certes, pourrait s’avérer laborieuse), auriez-vous mémoire, cependant, d’avoir repêché un jour, dans l’une ou l’autre de ces grottes, un objet, connu ou inconnu, propre à contenter la curiosité de deux chercheurs de villes imaginaires ?
Merci pour votre collaboration.
Bien à vous, etc.

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Trésors et chimères des grottes marines bretonnes (note d’intention)

Depuis bientôt dix ans, l’IGI mène d’importantes recherches visant à percer le mystère des houles bretonnes.

Les grottes marines bretonnes (parfois appelées localement « houles » et souvent situées dans des environnements sauvages et reculés) ont longtemps été le théâtre d’inquiétantes légendes. En effet, nous dit-on, les anciens les savaient peuplées de fées troglodytes et de leurs mystérieux compagnons, les fétauds. De là qu'ils se soient toujours gardés de les approcher et, plus encore, de s’y aventurer.

Si ce n'est qu'un beau jour, les fées et les fétauds en question sont partis. (« [...] maintenant on ne voit plus de fées ;  elles ont disparu depuis longtemps et on dit qu’elles sont toutes mortes en une nuit *. »)

À peu près au même moment (fin XIXe et début XXe), les mêmes grottes, par exemple celles du Cap Fréhel ou de Saint-Cast-le-Guildo, ont acquis une importante notoriété touristique. Toutes, des plus modestes aux plus spectaculaires, ont brusquement déplacé des foules de vacanciers, ainsi que l’attestent les cartes postales d’antan. Certaines mêmes, comme la grotte des Sirènes à Saint-Lunaire, ont été équipées et aménagées pour satisfaire au juteux marché du pittoresque.

Et puis les touristes sont partis à leur tour et les houles sont retombées dans l’oubli. Certes, quelques grottes marines sont encore massivement courues aujourd’hui, à Belle-Île (grotte de l’Apothicaire) et Crozon (grotte de l’Autel à Morgat) ; mais toutes les autres – ou presque – ont été désertées des amateurs de curieux et d’insolite. Comment expliquer un désintérêt aussi massif ? De quelle étrange désaffection les houles ont-elles été les sujettes ?

Ajoutez à cela que les grottes en question semblent avoir été habitées, jadis, par nos lointains ancêtres préhistoriques (cohabitaient-ils, alors, avec les fées et les fétauds ?) ; mais aussi que les mêmes grottes sont rapidement promises soit à effondrement, soit à ennoiement, du fait de la montée des eaux en cours, et vous avez là un sujet de premier choix pour tout Institut de Géographie Imaginaire qui se respecte.

C’est donc pour dénouer ce qui se trame dans le secret des grottes marines, et approcher les trésors qu’elles cachent, que l’IGI a lancé, depuis plusieurs années déjà, l’excellent programme de recherches « Houles ».

En s’appuyant sur les cartes d’état-major, les récits des anciens, les cartes postales anciennes et quelques articles spécialisés, et n’écoutant que leur courage, nos membres les plus actifs se sont aventurés dans les profondeurs d’un grand nombre de ces cavités, certaines immédiatement accessibles depuis la plage, d’autres atteignables seulement au prix d’une longue progression dans un mystérieux dédale de rochers mouvants. Des réponses ont commencé à s’imposer à eux, mais elles étaient aussitôt balayées par de nouvelles questions, par de nouveaux mystères.

Malgré ça, une tentative de synthèse est en cours – et les recherches continuent.

[Si vous êtes en possession d’éléments nouveaux concernant ce mystérieux destin des houles, merci de prendre contact avec l’IGI.]

* Conté par Jacquemine Nicolas, de Saint-Cast. Cf. Paul Sébillot, « La houle de Beauçais ».



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