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On nous dit qu’il y a trois géographies : la géographie mathématique, la géographie physique et la géographie humaine, et qu’elles suffisent, à elles trois, à comprendre ce qui se passe à la surface de la Terre.
Elles nous décrivent et nous expliquent ainsi, avec une rigueur implacable – cartes, chiffres et statistiques à l’appui –, les mouvements de la magnétosphère, la dérive des continents, la formation des reliefs, la répartition des populations et le développement des infrastructures marchandes.
Mais c’est là de la géographie en réduction ! Car elles ne retiennent des lieux qui nous entourent – ces lieux vivants, pleins, épais, riches de qualités secondes – que certaines quantités et déterminations formelles, les épinglant sur la grille froide et homogène de la géométrie, où tous les points sont équivalents les uns aux autres. Elles nous en offrent par là même une représentation neutre, objective, dépassionnée, comme ferait un agent du cadastre – au grand bonheur des maîtres du plan et des aménageurs.
Nous attendrions donc en vain qu’elles se révoltent contre ceux qui, dans les laboratoires, les bureaux et les cabinets, œuvrent à adapter le monde, de gré ou de force, aux lois de l’économie – attendu que ces mêmes géographies leur servent bien souvent de motif, de caution ou d’excuse.
Alors c’est toute notre géographie qu’il faudrait revoir.
Ou du moins, il s’agirait d’en réintroduire une quatrième, située en-deçà des trois autres – celle-là même que les esprits conquérants de l’époque s’emploient à refouler, chaque fois qu’ils dissimulent leurs basses œuvres derrière la prétendue neutralité de la démarche scientifique. Cette géographie originelle a pourtant toujours existé, bien avant que ses trois sœurs positives n’aient gagné leurs lettres de noblesse – avant que le monde ait été livré en pâture aux urbanistes, aux promoteurs immobiliers et aux géants du BTP.
Elle a connu beaucoup de noms à travers l’histoire. Récemment encore, certains l’ont baptisée « psychogéographie », « géophilosophie » ou « géopoétique ». Pour notre part, nous avons voulu l’appeler simplement « géographie imaginaire ».
Car la description et la compréhension de ce qui se passe à la surface de notre petit asile planétaire ne peuvent pas être séparées de toutes les histoires qui y circulent et la traversent – des récits, des mythes, des légendes qui en pénètrent et en informent la chair même, partout peuplée de fantômes et de spectres. Il n’est pas de monde en effet qui ne soit tissé de signes, de gestes, d’échos, de chants, de liens, d’énigmes, de rêves, d’usages et de désirs – dont les géographies positives pourtant ne disent rien, préférant remiser l’imagination dans les placards de la fantaisie et du non-sens. Hormis que l’imagination n’est pas du tout coupée du réel, bien au contraire ; elle est en prise directe avec lui : elle l’informe, elle le sculpte, elle le modèle, au même titre que toutes les forces de la physique du globe – et peut-être avant elles.
C’est pourquoi, à un moment où les aménageurs n’ont jamais autant arraisonné les lieux qui nous entourent et nous façonnent, au nom de leur mobilisation pour la compétitivité, la gestion des ressources et la valorisation du territoire, nous voulons faire
réentendre la voix de cette géographie embarquée et intempestive – une géographie qui, tout en luttant contre les agents d’une Terre délibérément appauvrie, ressaisira le monde dans sa texture la plus intime, la plus
fondamentale et la plus haute, et redonnera toute sa place au caché, au merveilleux et au mystère.
IGI, septembre 2020
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Institut de Géographie Imaginaire — 2024
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